lundi 10 novembre 2008

Abstramgram

Abstraction/Doute. Le sens des mots abstraits flotte. La chaise est une chaise, soit, et le fait qu’elle désigne aussi bien une Louis XV, que le siège bancal sur lequel je m’abîme le dos ne me pose pas de problème puisque je parviens à faire abstraction des différences pour me construire une idée générale et commune du mot chaise. Par contre, quand le mot dessaisissement peut signifier lâcher-prise, dépouillement ou dépossession de soi, que l’abstraction peut aussi bien être dans le domaine des idées, quand elle renvoie à cette opération intellectuelle qui permet d’élaborer des raisonnements, que dans celui des émotions avec ce courant esthétique qui utilise les formes comme s’il s’agissait d’émotions brutes, sans avoir à passer par la médiation du langage, je suis prise de vertige. Les mots deviennent des portes vers une instabilité générale. De la connaissance surtout. J’interroge les textes des grands penseurs sur lesquels l’Occident s’est construit. Je m’enfonce en eux, en chaque mot, non pas comme s’ils menaient à un monde complexe et dense, mais comme s’ils étaient chacun un monde grouillant de sens contradictoires.

Abstraction/Pensée. Action d'abstraire, opération intellectuelle par laquelle, dans un objet, on isole un caractère pour ne considérer que ce caractère ; résultat de cette action. Sans l'abstraction, l'esprit humain ne pourrait conduire aucun raisonnement un peu compliqué. L'abstraction ne crée pas des êtres et n'est qu'un artifice logique. Le pouvoir d'abstraction. Par une abstraction puissante, il a saisi ce qu'il y avait de plus général dans son sujet. La blancheur considérée en soi est une abstraction, puisqu'il y a dans la nature, non la blancheur, mais des choses blanches. Il faut bien se garder de prendre des abstractions pour des réalités. [Littré] Un poème totalement abstrait est-il possible? Non, ce serait alors se couper du monde.

Abstraction/Forme. L’enjeu de l’art abstrait est de communiquer directement sa subjectivité au spectateur. Il montre qu’il est vain d’essayer de transmettre le monde avec objectivité. Toute représentation est une abstraction, un échantillon. Mais pour l’art abstrait, c’est un échantillon tenté de subjectivité. Kandinsky considérait que les couleurs et les formes pouvaient communiquer des vérités spirituelles, cachées derrière les apparences quotidiennes et qui sont difficiles à décrire par les mots. Il voyait même une similitude entre la musique et la peinture. Un poème totalement abstrait est-il possible? Non, résolument, ce serait alors un tableau.

Abstraction/Corps. Mon corps est lourdement vautré sur sa chaise pendant que ma tête est ailleurs, dans un imaginaire qu’elle explore avec sa langue, sa mémoire, ses désirs. Le moment de l’écriture me scinde entre une vie qui s’exile dans des mots absents de la pièce et un corps qui mange, se gratte, s’étire sans que la première partie n’en reçoive le moindre écho.

Abstraction/Équilibre. « Cela ne doit pas atteindre ma vie ». Cela commence par ma vie. Quand mon corps devient trop lourd de savoirs, d’expériences, quand il grince d’habitudes, quand les tiroirs débordent, les choses commencent à craquer d’elles-mêmes. Je me demande la valeur de tout ça. De ce chemin vers l’inconfort. On dirait que je résiste, l’orteil colmate un trou, le coude un autre, pour écrire une page de plus dans l’entropie et le confort du plein. Mais j’avance sans impatience sur le chemin du déséquilibre. Je ne me sens jamais mieux qu’à cet instant d’avant la chute. Je voudrais rester sur l’arrête du cube, le corps tremblant d’effort pour ne pas tomber, à jeter sans réfléchir toutes les réserves d’expériences inutiles. Seules les choses vraiment importantes restent. Je fais abstraction de tout le reste.

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