lundi 10 novembre 2008

Prendre sa malle

Eh bien, si je suis dans le paradoxe, se dit-elle, le pauvre Maulpoix est totalement englué dans le point de jonction où se croisent toutes les contradictions de l’écriture. Une tâche futile à l’accomplissement élevé, un ennemi dont on ne peut qu’être gré de nous pourrir la vie, et qui ne peut être mis en forme qu’en échappant à l’auteur, alors même que la moindre inattention remplace le langage en babillages complaisants. .. Pauvre, pauvre Maulpoix., soupire-t-elle.
Qu’est-ce qu’écrire, c’est une question complètement folle. Rien à voir avec celle du destinataire, du but, du sens. Elle jette un coup d’œil aux livres qui ronflent sur son étagère… Non. Ça interroge la substance même de l’écriture. Comme dirait l’autre, ça revient à se demander ce qui constitue l’existence. Pour y répondre, deux voies : un besoin imminent de certitude qui passe par-dessus toute une tradition de verbiages pour fixer la pensée sur un lieu commun. L’écriture, c’est un lieu vidé par l’auteur où toutes les altérités s’expriment, blablabla… Elle veut bien concéder que chaque sentence s’élabore sur un terrain de vérité… Mais la pratique de l’écriture, dès qu’elle est systématisée… De là, l’autre chemin, qu’emprunte Maulpoix – et il a bien raison! – et qui consiste à laisser l’essence de l’écriture se dessiner dans les blancs du texte, dans les vides laissés entre la juxtaposition de contraires.
Dès qu’elle a donné forme à cette première réflexion, elle se sent un peu mieux. Déjà que ses idées s’engueulent à vide ces dernières semaines, alors cette histoire de voyage dans l’altérité par l’écriture l’a complètement brisée. Elle s’affale sur sa chaise pour relire ces quelques lignes, scratch, elle tombe. Un crissement se rapproche, paf, un orteil écrasé par le livre qui tenait en équilibre sur le bord de son bureau. Et des murs dégringolent de tous les coins dès qu’elle se rassied devant sa page. La précarité de l’écriture, se dit-elle…
Dans l’écriture, dans l’écriture… Elle pense immédiatement à la mémoire. Elle fait claquer la phrase dans sa bouche : « l’écrivain écrit pour continuer de se souvenir qu’il existe ». Pas tout à fait ça. Quelque chose de manquant, de perdu, derrière lequel on se lance en vain. Blablabla… Une ouverture à l’autre, à un infini de possibles qui n’auraient pas émergé si l’on n’y avait pas fait de place.
« L’auteur est étranger ou dans un rapport d’étrangeté avec son écriture, en laquelle on se saurait l’identifier. Ce qui pourrait se dire encore : la relation de ‘l’auteur’ au texte, à la toile, est d’adversité bien davantage que de complicité. Chaque fois que celui qui l’écrit croit s’y projeter, franchissant la frontière qui le sépare infiniment de ce qu’il fait (de ce qu’il est), il se connait autre que ce qu’il fut ou sera, il devient incessamment cet autre que, pour finir, il ne sera pas. »
Ah oui, ça lui plait. Dans ce qu’elle écrit, c’est elle mais ce n’est pas tout à fait elle. Sans s’éloigner de ses positions, elle fait parfois des sacrées pirouettes pour aller chercher un nouvel angle de vision. Elle se vide, mais ce n’est jamais l’universel qui prend la place. Plutôt l’infinie recomposition des quelques traits stables. Et elle ne trouve pas plus compliqué que ça de faire sur le papier ce qu’elle fait déjà dans sa vie. Exiler l’un de ses personnages pour en faire émerger un autre, c’est ce mouvement, cette précarité qu’elle convoque dans l’écriture. Pas de réponses, mais un voyage.

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