vendredi 27 février 2009

L'eau trouble

"Pour trouver un joyau, il faut apaiser les vagues; il est difficile de le trouver en agitant l'eau."
Yamada Rashi

Aux Martiniquais

"Marie-pitié, mon sucre d'orge, en créole on sait nommer l'esclavage, ou les chaînes, ou le fouet, mais aucun de nos mots ou pièce de nos titimes ne dit l'abolition. Tu sais pourquoi, han?"
Texaco, p.132

Le Tunnel des classes


Chaque fois qu'une voiture passe dans le tunnel se joue un combat entre les passants qui se croisent, dont le perdant doit s'écarter du mur pour laisser passer l'autre et prendre ainsi le risque de se faire écraser. Je fabule peut-être mais j'ai l'impression que ce tunnel est le lieu d'expression de multiples colères et tensions. Parfois, deux personnes s'immobilisent et se dévisagent pendant plusieurs secondes avant que l'une des deux cède. Quand c'est une blanche ou une métis, on sent que la victoire de la noire s'étend bien au-delà du tunnel.

Le soir dans les îles

À 6 heures, le monde des îles s'éteind. Chacun rentre chez soi. Dîne. Tôt. Dans les rues, plus personne. Le noir. Et le silence. Quand on est une femme seule, il faut se faire transporter par le taxi de porte en porte. À 11 heures, épuisée par ce silence immobile, je tombe de sommeil.

Elle pleure


Nous voyons les potagers, des bananiers, des manguiers, des chutes d'eau, des écoles anglicanes, des églises. Après trois heures de marche en montagne, nous faisons demi tour. Ils ont dans les quarante ans. Londoniens d'origine indienne. Il est venu faire une conférence à l'école de médecine de Grenade. Et elle l'a suivi. Ils profitent de ce voyage pour voyager, au lieu de rester une semaine enfermés dans leur hotel. Je les avais déjà croisés dans un bus collectif.

Nous nous asseyons sur le bord de la route et mangeons ce qu'il nous reste. Presque rien. Surtout pour moi. Même plus d'eau. Elle se met à pleurer en se tenant le ventre. Des larmes de fatigue que je réconforte comme je peux. Il s'excuse de ne pas avoir écouté ses limites assez bien. Il attend qu'elle se calme. Ensuite, il la prend dans ses bras, lui dit comme il est fier d'elle, comme elle est forte, et je regarde ce couple les yeux mouillés. Leur amour discret mais que je sens d'une grande force. Ils se lèvent, elle met son voile, ils font leur prière à Allah chacun leur tour. Tout s'accélère après. Il me faut rebrousser chemin, prendre un bus, car j'ai le ventre vide et les jambes coton. Je m'excuse et leur répète 100 fois ma joie de ces heures partagées avant que le minibus m'avale. Le mail qu'il m'a épelé depuis le bord de la route ne marche pas.

Tu fais ça tous les jours?


Un jeune Grenadien fait le clown pour divertir une poignée d'Américains sortis du Ferry. Il escalade la falaise, prend la pause le temps que les appareils photo des Américains sortent de leurs étuis, et plonge dans le lac sous les applaudissements. C'est sur la remontée qu'il croise mon regard agacé et cette question pleine de reproches.

Il me répond avec mépris "c'est comme ça que je gagne ma vie". Bien plus humilié par mon regard que par l'enchantement des touristes devant son habilité de bon sauvage. Mais ce n'est pas un exploit pour moi, de faire le singe pour les touristes. Pas un exploit d'enraciner les exotismes, de danser comme ils veulent que vous dansiez, de chanter comme ils l'attendent.

Et peut-être est-ce moi qui ai tord, qui durcit l'incompréhension en refusant d'accepter les différences. Qui vous attend sur mon terrain et refuse de trouver le vôtre digne de fierté. Et peut-être derrière le masque du clown, y a-t-il celui qui prend ses spectateurs pour des pigeons. Mais devrait-on nous en réjouir?

Silhouettes de bois




Le tronc enraciné dans la vie à ras de terre. Les femmes d'ici sont solides. Souvent seules, avec des enfants de père différent, ce n'est pas un mythe. Elles bossent fort. Elles ont des batailles à mener. Elles condamnent d'un persifflement ou d'un regard moche celles, dans la rue, qui ne portent pas la même dignité sur leurs épaules. Les hommes aussi, des masses, pas seulement dans leur corps, les regards rudes, qui bravent la peur. Non, personne n'a peur ici.

Une fausse image


Je croyais que les îles étaient douces. Des kilometres de sable fin, de la mer turquoisse tout autour, et des locaux endormis par le bon vivre, berçant leur nonchalance à l'ombre d'un manguier. Mais elles sont arides les Antilles, les forêts denses, et des vies dont l'apreté et la rudesse ont rendu les gens durs comme le bois, on dirait des combattants toujours prêts à entrer en joute.
Il faut être robuste ici pour passer au travers d'un quotidien où rien n'est fait pour vous aider.

Castro / Obama


Sur le bord d'un abribus, je tombe sur cette déclaration d'un autre temps. En 1979, Maurice Bishop, le leader du NJM (New Jewel Movement), prend le pouvoir après avoir renversé le gouvernement alors au pouvoir et dont l'élection avait été jugée illégitime par les opposants. Il met fin au régime démocratique, suspend la Constitution et met en place le People's Revolutionnary Government. Il s'aligne sur la politique castriste et reçoit l'appui de l'autre île des Caraibes. Les États-Unis se montrent inquiets de l'orientation de l'île. Ils sautent donc sur l'occasion du nouveau coup d'État mettant Austin à la tête du pays, et de l'assassinat de Bishop en 1983 pour agir. Les troupes américaines (6000 à 7000 hommes), épaulées par celles de six autres pays des Caraïbes, envahissent la Grenade. Austin est arrêté, ainsi que les assassins de Bishop, et la constitution de 1974 est rétablie. Des élections libres sont organisées l'année suivante. Depuis, l'île de la Grenade, resté sous la haute surveillance des États-Unis, a connu une vie politique sans à-coup important.
Par un vote de 122 contre 9 (Antigua and Barbuda, Barbados, Dominica, El Salvador, Israel, Jamaica, Saint Lucia, Saint Vincent, Grenada, and the United States) , et de 27 abstentions, l'assemblée générale des Nations Unies "deeply deplores the armed intervention in Grenada, which constitutes a flagrant violation of international law and of the independence, sovereignty and territorial integrity of that State".
Dans l'hebdomadaire local (il n'y a pas de quotidien), je lis le discours du premier ministre actuel. Il espère beaucoup d’Obama, star des Antilles… Espère des échanges plus équitables et plus solides, espère d’exister en tant que partenaire...

Grenada, des amérindiens au Commonwealth

D'abord habitée par les Caribes, Grenade est découverte par CC en 1498, lors de son troisième voyage dans les Amériques. Mais l'île reste entre les mains des Caribes qui enrayent toutes les tentatives d'invasion européenne jusqu'à ce que des colons français s'y installent au milieu du 17e siècle en achetant à coups de bouteilles d'alcool la confiance des indiens.

Enfin, ces Indiens ne sont pas si cons, ou vraiment trop soulard pour être rassasiés de si peu, et la résistance continue jusqu'à un événement qui donne le nom au Mont Sauteur, situé dans le nord de l'île, et qui fait la fierté des Grenadiens aujourd’hui encore : se retrouvant dans l'impasse, les derniers Caribes auraient préféré la mort à la soumission, et se seraient jeté du haut de Sauteurs Bay. Le discours que le premier ministre de l’île a prononcé le 7 février dernier à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de l’île commençait sur un rappel de cette histoire originelle : le peuple grenadien a toujours été indépendant et fier, a-t-il déclaré. C'est ainsi que l'on construit une identité nationale, même si elle tait une partie de l'histoire...


Les Français font venir un millier d’esclaves d’Afrique et installent des plantations de café, de sucre, de tabac et de coco. Quand l'île passe finalement sous l'égide anglaise, la langue française devient la langue anglaise. Les esclaves continuent à utiliser le Français qui devient une langue de résistance contre les maîtres.


L'esclavage est aboli dans les colonies anglaises en 1834. L'émancipation des esclaves ruine et chasse les propriétaires blancs. La production sucrière décline au profit de la culture des épices qui permettent la division des terres en parcelles plus petites. Je lis que ce sont les Anglais qui seraient à l'origine de ce changement, après la destruction de la culture sucrière par des catastrophes naturelles. Je lis aussi que ce seraient plutôt l'émancipation des esclaves qui favoriserait la division des terres. J'entends dans la rue que ce serait plutôt le premier gouvernement grenadien qui aurait redistribué les terres au peuple et aurait ainsi permis à celui-ci de favoriser une agriculture familiale qui permet de subvenir à ses besoins au lieu d'exploiter les ressources pour l'exportation. Vu le passé castriste de l'île, l'idée est plausible, mais j'y reviendrais.


A la même époque, un autre déclin est constaté, celui de la langue française qui a totalement cédé sa place à l'anglais. Seuls désormais des noms de rivières, de montagnes, de plantations, et la persistance d'un créole français très minoritaire rappelleront l'occupation française.


La Grenade devient une colonie, puis un État associé, et acquiert son indépendance le 7 février 1974. Elle devient membre du Commonwealth et une démocratie parlementaire s'y met en place. La reine est toujours sur les pièces de monnaie...

samedi 21 février 2009

Découragement


La maladie fait partie du voyage. J’ai assez lu Bouvier pour le savoir. Aujourd’hui, pourtant, je me demande ce que je fous là, dans cet inconfort physique et moral, à chercher quelque chose d’insulaire dans des îles qui se dérobent à mes regards.

Je me sens comme dans ces routes de montagne qui vous offrent des paysages aussi merveilleux que peuvent être terribles les nausées et les vertiges. Il faut s'abandonner aux sinuosités de la route pour profiter du spectacle.

Je ne m’abandonne pas à ce balancement inconfortable et j’en ai ras le bol. De ne rien garder dans l’estomac. De n’avoir que ce maudit carnet pour compagnie. De la découverte de nouveaux insectes autour, sous, dans mon lit. De frotter frotter frotter mon linge dans l’évier. Des mêmes vêtements qui jaunissent et flottent maintenant et me donnent l’aspect d’un oisillon malade. De me recouvrir de lotion antimoustique, de crème solaire, de crème après-soleil… Ras le bol de voir passer les jours si lentement... Ras le bol de me gratter. Les bras, les jambes. La tête.

Je me réveille un peu plus tard de cette journée nauséeuse, rencontre un couple d’Allemands de mon âge. Nous discutons sur la terrasse de l’hôtel. « Je t’admire tant de faire ce que tu fais. Je serais incapable de voyager seule, surtout dans les Caraïbes. Je te trouve vraiment très courageuse. » Je baisse la tête, me demande même si je ne rougis pas. Pour ne pas me sentir une complète imposture, je précise que je voyage seule pour la première fois.

Loger l'inconfort

Ce qu’il se passe jour après jour, ce n’est pas l’apprentissage des bons reflexes, le réconfort après l’incertitude des débuts. Ce qui se passe, c’est plutôt le renoncement à cette image du bourlingueur qui erre d'un pays à l'autre, et dort dans la rue et n'a que son sac pour compagnie... Il y a un terrible besoin de stabilité chez moi, pas dans ma tête, mais mon corps ne réclame que ça. Et je suis en train d’y céder, accepter que l’inconfort et la solitude auront raison de moi, raccourciront le voyage prévu, en espérant qu’ils n’y mettent pas une fin trop précipitée.

Having wings


Plus on approche de Trinidad, plus le ciel s’assombrit. L’avion tangue, un trou d’air, des cris aigus derrière moi et des cliquetis de ceintures qu’on avait bravement oubliées . Je devrais me mettre à pleurer, la peur si familière de cette ferraille volante poussée à bout par la tension ambiante, mais je souris au hublot. La mort pourrait bien me prendre là… L’avion atterit sans me prendre ce bien-être abruti. Soit j’ai combattu ma peur, soit les cachets gobés avant d’embarquer…


Deuxième vol 6 heures plus tard. Je ne prends rien. Pour être fixée. « True happiness is having wings », chante Ben Harper dans mes oreilles. Mais quand l’avion décolle, on dirait que le bonheur serait plutôt d’avoir les pieds sur terre. Il pleut beaucoup. Beaucoup de vent. Le 20 places tremble à nouveau. Un grand noir fait un signe de croix. J’écarquille les yeux. Oublie de saluer l’homme qui vient de s’installer à côté de moi. Je déballe mes outils, mains moites et gorge nouée, un peu d’huile essentielle de menthe, respire Céline, respire, de l’homéopathie contre l’angoisse, je bouffe trois cachets d’un coup, quelques biscuits, retire mon mp3 des oreilles pour écouter pour la centième fois les consignes de sécurité dans l’espoir d’y épuiser mon angoisse… L’homme en profite pour entamer la discussion. Je grimace un peu, mais cède. Oscar. Mexicain. Une cinquantaine d’années. Il sent l’ail et le travail physique. L’avion fait un bruit du diable et s’enroue régulièrement comme si le moteur donnait tout ce qui lui restait. Oscar est venu dans les Caraibes pour travailler sur les chantiers des complexes touristiques de luxe. Il vient de faire 4 semaines dans l’île Moustique, cette île qui coute 10 000 dollars US la nuit. Il part pour St-Vincent. L’avion tangue. Il me conseille certaines îles, se raconte, raconte la façon dont il a appris l’anglais. Une grosse secousse, je me crispe, il me félicite. « You did it. It’s OK now. » Je réalise que les roues de l’avion ont déjà touché le sol, qu’il a senti ma peur et qu’il a rempli le vol d’échanges pour me divertir. J’ai une pensée pour Pierre qui fait ça chaque fois que nous prenons l’avion ensemble, et une bouffée de reconnaissance pour cet homme attentif. Lui est heureux, on perd tant de temps à s’isoler les uns des aujtres, regarde tous les autres passagers, personne ne s'est parlé…

Je ne voudrais pas la refaire à la Marion Cottillard…, mais si c’est vrai qu’il y a des anges sur terre, on en croise surtout dans les airs. J’en rencontre d’autres. Mais regardez moi cette allure. J’ai l’air d’un oisillon. Égarée et souriant au premier bec qui me fait la béquée. Ça a de quoi inquiéter les bonnes ames en effet.

Mauvaise compagnie

Des gens qu’on aurait à peine supporté quelques minutes dans notre quotidien. On les prend parce qu'ils permettent de nous sentir moins vulnérables, et tant pis s’ils nous emmerdent un peu. Et puis tant mieux finalement, on bouscule nos idées. Et on tolère, oui, j’ose utiliser ce mot, on tolère des divergences de pensée, car elles comptent moins que d'autres choses ici. Parfois, la bonté suffit à faire un bon compagnon. On s’attache à une certaine humanité, peu importe les idées qui l’enrobe.

Adrenaline

Beaucoup de voyageurs cherchent l’adrénaline dans le voyage. L’exploit et le shoot qui s’ensuit. Je ne suis pas comme ça. Et la petite fierté que je pourrais bien ressentir envers quelques exploits personnels se ratatine devant le récit d'aventures des grands voyageurs.

Ce que je cherche est davantage du côté du silence, de la pause, de la stagnation. Je recherche l’immobilité dans le voyage, ce n’est qu’un paradoxe apparent. Au lieu de courir après les activités, je fais assez de silence et de vide en moi pour que les choses auxquelles je ne laisse habituellement pas assez de place se sentent libres de venir me rendre visite.

Et il y a les rencontres. Pas de voyages mémorables sans rencontres importantes. Peu importe le paysage. Il me faut découvrir un peuple.

Elle raconte beaucoup d'histoires

On se raconte toujours aux gens de passage. Parfois pour s'inventer tel qu'on aurait voulu être. Ou simplement pour ajouter quelques gloires à une vie ordinaire. Surtout, pour ne pas prendre le risque d'être défini par les quelques gestes qu'on aura posé le temps de la rencontre. Ça tient à trop peu de choses une identité quand elle est privée de mots et de temps.
Mais on refuse l'errance ainsi, alors qu'on pourrait découvrir celle qu'on est aujourd'hui dans ce regard éphemère...

Horloge de géant


J’ai la preuve que le temps s’intensifie en voyage, s’étire, et qu'on vieillit de 10 jours en un à force de remplir chaque journée de choses qu'on aurait pu faire en 10. À l'aéroport de Trinidad, mon 6e stylo me lâche. Six stylos en huit jours, c'est une consommation exceptionnelle. J'ai d'autres chiffres dans ma comptabilité temporelle. J'ai pris 5 avions, dormi dans 5 lits différents, me suis fait estamper 4 fois mon passeport et changé 4 fois de monnaie, jonglé avec 5 langues, perdu 10 livres. Et j'ai l'impression d'avoir les poches pleines de temps libre passé à regarder la rue, le plafond, la mer, les gens.


Je jette un coup d'oeil au calendrier, fais un rapide calcul. Encore 12 fois ça. J’ai peur d’avoir des cheveux blancs à mon retour.

jeudi 19 février 2009


Elle trouve que l'on devrait preserver les p'tits boulots, balayeur, caissier, cireur de pompes... pour ces gens incapables de faire les nôtres. Je trouve qu'on devrait tous faire un peu d'ingenieurie et de construction, ou un peu de professorat et de secretariat, un peu de medecine et de menage... ou revaloriser ce qu'on appelle "p'tits boulots" alors qu'ils exigent un savoir-faire et des habilites que tout le monde n'a pas. Elle me trouve bobo. Je la trouve affreusement liberale. Mais on se trouve des tonnes de points communs. Sans le voyage, je ne serai pas allée au-delà de nos divergences d'opinion. Je n'aurai pas éprouvé les miennes. J'aurai haussé le ton et croisé les bras. Tu dis n'importe quoi, voyons...

lundi 16 février 2009

Un peu d'eau autour de la terre Curacao toujours





Je n'ai pas beaucoup écrit à Curacao. Pas assez de solitudes. J'ai laissé filer mes matériaux en espérant me souvenir de tout ce qui a été dit sur les locaux, sur la vie d'expatrié dans une île colonisée, sur les yeux jaloux qu'il faut conjurer, sans sacrifier l'envie que vous insufflez aux voisins et amis... Alors je montre quelques clichés en attendant que les mots remontent

Terre d'Afrique ou d'Europe







La terre est rouge afrique dans le nord. On prend la jeep et les enfants, on est chahutés par les crevasses sur une route qui s'interrompt. Demi-tour et nouveau chemin. On s'arrête et marche le long d'une falaise. Bretonne.


jeudi 12 février 2009

L'inconfort toujours

Il y a des peuples toujours en mouvement. L'inconfort pour moi, ça signifie ce sac à dos qu'on ne vide pas sur une etagère car on ne reste que deux jours, ça signifie bouger souvent, briser ses repères et ses habitudes dès qu'elles pointent le bout de leur nez, recréer l'inconnu. Très éprouvant.

Croisements

L'île est un espace clos. Mais le croisieriste qui court dans le centre-ville pour claquer ses dollars en 6 heures ne la voit pas de la même façon que la Néerlandaise qui revient deux mois chaque année depuis 1972 avec un attitude qui n'a pas changé comme si le temps s'était arrété, que le Béqué installé dans ses privilèges menacés, que la bonne qui travaille trois jours par semaine dans les grandes maisons, que la femme de ménage de l'hotel, que le voyageur en sac à dos. La bonne de cette maison n'a jamais pris l'avion, jamais sortie de l'île, ne sait ni lire ni écrire. La décrire plus, maintenant, m'enfermerai dans des clichés. J'attends.

Le voyeur vu

Mal de mer


Au moment où j'apperçois les bateaux ammarrés dans le port, je me souviens que je suis sur une île et ai l'étrange sensation que la terre tangue sous moi, comme un gigantesque bateau dont on ne verrait pas les extremités... parce qu'elle n'est retenue à rien.

Bonhomme des sables

Une journée où le présent m'attrape. Pas d'anticipation, pas de nostalgie, pas d'impatience. Je marche sur la plage, fabrique des poupées vaudou pour le plaisir de les fabriquer, photographie des roches, un plongeon dans l'eau. Détour par un troquet. Quand je vais boire un café ou manger dehors seule, c'est toujours une excuse pour lire ou pour écrire à Montréal. Mais aujourd'hui, pas de livre à la main, l'assiette est au centre de la scène et j'y concentre toute mon attention. La lecture ce sera après. L'importance des moments vides..

Il n'y a pas que l'exteriorité, l'exotisme qui nous motive dans le voyage. On explore un truc en soi, qui cède ou pas. Je suis même assez insensible aux paysages dont les guides touristiques vous ont déjà tant donné de détails que d'y aller ne sert plus qu'a certifier d'un coup d'oeil. Et plus ils sont compliqués à trouver, plus on se sent routard dans l'âme de les avoir trouvés...

Je marche sur cette plage anodine, presque laide. Sur les rochers, l'eau de mer restée prisonnière dans les crevasses... ne fait rien d'autre que rester prisonnière.

All Inclusive

Beaucoup de Resorts et All inclusive à Aruba. Je passe une journée à les fuir, et une journée à les étudier. J'entre et sors par la grande porte en passant totalement innaperçue.

Ils paient très cher pour ça...

Mais aussi pour ça:Guirlande de peaux orange cramé qui fondent sous le soleil de midi, une ficelle sur le cul, et les jambes écartées pour un bronzage intégral. Le tracteur déplace les merdes qu'ils produisent sans que personne n'hausse le sourcil.

J'hallucine.

Aruba...

Aruba est une îles des petites Antilles, au large du Vénézuela. Elle fait 193 km2 et réunit 102 695 habitants (532 hab/km2). C’est un état du Royaume des Pays Bas, mais il a sa propre monnaie, sa propre Constitution, et élit ses représentants politiques. Prise par les Espagnols en 1499, l’île devient une colonie néerlandaise en 1636, passe entre les mains des Anglais à deux reprises si je me souviens bien, devient un morceau des « Antilles néerlandaises » en 1954, puis acquiert sont autonomie par rapport aux autres îles en 1986. Ses habitants élisent les 21 membres de la Chambre, qui nomment à leur tour 7 membres du Conseil des ministres, qui proposent un gouverneur… Quant à la reine Beatrix II, reine du royaume des Pays-Bas, elle est présidente de l’île, les droits du sang...

On dit d’Aruba qu’elle a un climat chaud et sec, avec des jours de pluie qu’on peut compter sur les doigts de la main. Mais on dit beaucoup de conneries pour attirer les touristes qui représentent 35 % des emplois et 38 % du PIB de l’île. (Viennent s’ajouter les « services financiers offshore » comme on dit quand on ne veut pas parler de paradis fiscal.) Mais il pleut tous les jours à Aruba, et de grosses flaques se construisent le long des routes aussi vite qu’elles sèchent au soleil.


On dit aussi que les insulaires sont particulièrement accueillants, souriants, et c’est vrai qu’ils le sont, on m'a fait un sacré accueil ici, grande disponibilité, sourire, serviabilité... Mais on sait ce que recèle de faux ces vrais clichés. Un paragraphe sur les Québecois s'imposerait mais je me censure par manque de temps.


Et puis, quand on dit qu'"ils" sont accueillants, on parle des autochtones bien-sûr, pas des Néerlandais, peu importe ce qu'ils sont eux, on ne s'est même pas posé la question, ils sont comme nous, même couleur de peau, même culture, même s'ils vivent là depuis des siècles. Ce qui nous inquiète, c'est l'autochtone, le sauvage... Est-il accueillant avec le touriste? Oui, à Aruba, il l'est. Bien sage et bien respectueux du dollars sacré. Pas d'agressions à Aruba. Pas d'arnaques. Pas besoin de cacher son appareil photo ou de recompter sa monnaie... Dans les premiers jours, j'ai pensé qu'il n'y avait pas de pauvreté, une île prospère où tous les habitants mangent à leur faim et sont heureux et ne veulent rien de plus, c'est exactement ce que vendent les guides. Mais je pense maintenant que c'est une raison plus colonialiste, un reste de soumission au blanc... C'est une impression très personnelle, peut-être totalement fausse, mais elle devient de plus en plus entetante au fil des jours.


Aruba est une des rares îles des petites Antilles où les indiens (les Caiquetios, une tribu arawak) n’ont pas été totalement décimés. Par contre, peu de noirs. À en croire les guides, mais je pense avoir prouvé combien les guides..., la terre sèche et stérile a empeché le déveleppoment des plantations. Donc, pas d'esclaves. Beaucoup de Vénézuéliens qui sont attirés par la procimité et la qualité de vie de cette île. Des Néerlandais installés depuis des siècles ou des années. Quelques Américains. Et quatre langues, le Papiamento, créole très proche de l'espagnol, le néerlandais, l'anglais et l'espagnol. Tout le monde passe de l'un à l'autre sans se rendre compte...

Le corps et la tête

Après une dizaine d’heures de vol et de déambulations dans des couloirs d’aéroports, on arrive enfin. Un tampon sur le passeport, le premier, le sac réveillé de sa sieste sur le tapis roulant. Il fait chaud mais on ne prend pas la peine de le remarquer. En fait, j'ai la tête emmélée, mais mon corps est déjà là lui, complètement à l’aise avec son environnement. Comme si la neige, le froid, le squelette empaqueté sous des couches de vêtements n’avaient jamais existé.

Liberté!

On ne trouve pas la liberté dans l'errance. On réalise plutôt à quel point on est aliéné. à des peurs. des habitudes. des peurs surtout. Dans nos pays, on confond liberté politique et liberté intérieure. On concentre toute notre force de contestation sur une liberté extérieure qui, malgré la démocratie, malgré malgré malgré, ne fait pas de nous des êtres totalement libres. C'est parce qu'il y a une autre liberté, partielle, elle aussi, mais que l'on peut éprouver dans la plus rigide des dictatures. Qui, si elle manque, on aura beau créer des lois pour protéger nos libertés politiques, les êtres resteront des moutons enchainés à un pays libre. Il faut parfois s'en prendre à soi, pas seulement aux choses qui nous gouvernent. On s'asservit d'abord soi. Par la peur.

L'inconfort des entre-deux

"Le stress est provoqué par le fait que l'on soit "ici" tout en voulant être "là", ou que l'on soit dans le présent tout en voulant être dans le futur."

mardi 10 février 2009

Errance

"J'ai le pressentiment que quelque chose ne sera plus comme avant. C'est peut-être là la vraie définition de l'errance, de sa quête, avec sa solitude et sa peur. C'est le désir que je cherchais, la pureté, la remise en cause, pour aller plus loin. Je me dois de me laver la tête... pour rencontrer le centre d'une nouvelle image, ni trop humaine, ni trop contemplative, où le moi est aspiré par les lieux quand le lieu n'est pas spectacle, ni surtout obstacle. Il me faut vivre cette quête qui est la mienne."
Raymond Depardon, Errance, p. 14

Ce livre, j'en avais noté un extrait dans un carnet vieux de plusieurs mois, et voilà qu'on me l'offre avant de partir. J'en retiens cette idée de l'errance comme un désir d'aller plus loin.

Mais je retiens aussi cette décision de prendre des photographies avec un appareil et un objectif unique, "avec trop de ciel, trop de sol, pour donner ma position, marquer ma présence et ne pas pouvoir tricher" 11

Mettre trop de sol, je n'aurai pas osé avant de lire ce livre...






dimanche 8 février 2009

Martinique, solidarité, sé sa nou ka mandé

"En Martinique, touchée à son tour depuis trois jours par un mouvement similaire à celui de la Guadeloupe, des grévistes ont contraint samedi plusieurs grandes surfaces commerciales à fermer, à Fort-de-France et dans plusieurs communes environnantes. Au total, dix ont dû baisser leur rideau sur l’île.
A l’initiative du «collectif du 5 février», date du début du mouvement, des dizaines de grévistes ont envahi les caisses aux cris de «Solidarité, sé sa nou ka mandé» (Solidarité, c’est ce que nous demandons) forçant les clients à quitter les lieux.
Le collectif réclame une baisse de 30% sur les produits de première nécessité que refusent les responsables de la grande distribution. Les négociations doivent reprendre lundi à 15H00 (20H00 à Paris).
On observait de longues files d’attente aux pompes à essence, affectées par des grèves soit de pompiste soit de conducteurs de camions-citerne.
Des observateurs prévoyaient une montée en puissance du mouvement avec des manifestations de camionneurs qui devaient se positionner aux entrées de Fort-de-France dès lundi matin.
En métropole, l’opposition a critiqué l’attitude de l’exécutif. Ségolène Royal (PS) a dénoncé une «chape de plomb» sur l’Outremer reprochant au chef de l’Etat de ne pas avoir parlé de la situation dans ces territoires lors de son intervention télévisée jeudi.
Le président du MoDem François Bayrou a jugé «honteux» le silence de Nicolas Sarkozy tandis que le leader du Nouveau parti anticapitaliste Olivier Besancenot a estimé que ce dernier «marche sur des oeufs» par crainte d’une contagion en métropole."
(Source AFP)

Envol

Ce qu'on aime dans les îles, ce n'est pas l'immensité de l'eau qui l'entoure, c'est la rive, le point de rencontre entre terre et eau. Depuis l'annonce faite par notre commandant de bord de notre arrivée imminente a Aruba, je fixe les eaux à la recherche d'une île. L'avion ralentit, descend, il prend son temps. Face à ce paysage uniforme, de l'eau, on a l'impression de faire du sur place. L'avion plonge cette fois et je jurerai qu'il s'apprête à atterrir sur l'eau. Pas la moindre trace d'une île. Je ne l'aperçois qu'un dixième de seconde avant que les roues ne se posent sur la piste.

dimanche 1 février 2009

Raf(a)le sur Malte

Arrivée record de 300 immigrés clandestins sur l'île de Malte
LEMONDE.FR avec AFP 01.02.09 15h59 • Mis à jour le 01.02.09 15h59
rès de 300 immigrés sont arrivés, dimanche 1er février au matin, à bord d'un bateau de pêche sur les côtes sud de Malte. Les immigrés, entassés sur un bateau de pêche vétuste, ont débarqué dans le port de Marsaxlokk et ont tenté de se disperser et de se cacher dans les terres, mais ils ont été encerclés par des policiers et des soldats.
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Une femme enceinte et des enfants figurent parmi les immigrés. Il s'agit de la plus importante arrivée de clandestins sur l'île depuis l'été 2007. En janvier, 162 migrants avaient été secourus en mer par la marine maltaise. En 2008, 2 770 immigrés, dont plus de 1 400 Somaliens, sont arrivés à Malte, le plus petit Etat de l'Union européenne. Malte s'est récemment associée à l'Italie, la Grèce et Chypre pour demander aux pays européens des action concrètes et communes contre l'immigration clandestine.
Les quatre pays ont demandé un renforcement de Frontex, l'agence européenne chargée de la gestion de la coopération aux frontières de l'UE, et la conclusion d'accords bilatéraux avec les pays d'origine des clandestins sans lesquels ils est très difficile pour chaque Etat membre de procéder aux expulsions. Le gouvernement maltais a fait valoir que le débarquement en un an de 2 770 immigrés sur la petite île serait équivalent à l'arrivée de plus de 300 000 clandestins en Espagne durant la même période. Plus de 67 000 personnes ont traversé la Méditerranée pour demander l'asile en Europe en 2008, dont plus de la moitié sont arrivées en Italie (36 900 arrivées en 2008) et à Malte, selon des données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.