Mon mémoire de création Salles d’Espérance, suivi de l'appareil réflexif Des îles gigognes, cherche à recréer des espaces ambivalents, où la neutralité fonctionnelle des paysages postmodernes côtoie le baroque de la vie quotidienne.
La partie création rassemble six tableaux d’une quinzaine de pages chacun, qui s’imbriquent dans une structure d’ensemble enchâssée pour suggérer une vision morcelée et plurielle du monde actuel. Les personnages partagent le même vertige généré par la vision généralisée d'un monde global (Iyer) où personnes, marchandises et savoirs circuleraient sans barrières. Ils ont aussi en commun un attachement émotif puissant à un lieu symbolique, l’île. L’espace insulaire devient le symbole d’une ambivalence qui sous-tend tout mon projet, puisqu’il représente cette dérive contemporaine qui rend les personnages fébriles, mais aussi l’attachement à un lieu d’origine fixe que l’éloignement géographique a protégé de la mondialisation.
L'appareil réflexif analyse la capacité du langage artistique à briser la neutralité de ces nouveaux lieux de transit et de déracinement que Marc Augé a nommés les « non-lieux » de la postmodernité. C'est là où l’esthétique relationnelle, théorie destinée à l'origine à des pratiques d'insertion dans l'espace urbain, apporte une posture critique intéressante. Les œuvres qui y sont liées ne discourent pas sur ces phénomènes, mais détournent l’identité purement fonctionnelle des lieux par le biais de réappropriations communautaires continuelles et multiples. De la même manière, je pense que la littérature doit aborder les apories des non-lieux contemporains et montrer le potentiel de subjectivités qu'ils recèlent. On peut alors les envisager comme des portes qui ouvrent sur des espaces de relations multiples, pour lesquels il nous faut inventer de nouveaux récits, car la forme du roman classique est incapable de laisser ouverte à l’infini cette multitude.
La structure de Salles d’Espérance construit cette infinie « compossibilité » du monde (Leibniz). La juxtaposition de contraires, la diversification des points de vue et la mobilité des fragments multiplie les strates de lecture que d’autres enlèvent par peur de l’altérité. L’éclatement de mon récit ne cherche pas à résoudre les paradoxes, « mais juxtapose, c’est-à-dire, laisse en dehors, les uns des autres les termes qui viennent en relation » (Blanchot). Dans un monde où l’on ne croit plus qu’à l’uniformisation de la pensée, où des mots sont menacés d’extinction parce qu’ils « sortent » du cadre idéologique dominant, le rôle de l’écrivain est de maintenir l’ambivalence présente dans chaque sphère du quotidien.
Je ne me situe pas dans la posture de l’écrivain engagé au sens sartrien du terme. Mon projet n’est pas inscrit dans un esprit de militantisme. Il utilise le langage littéraire pour offrir un point de vue critique sur la société. Autrement dit, je montre qu’il est encore possible de produire une multitude de signes subjectifs, même dans un monde aux signes vidés.
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