dimanche 8 mars 2009

Sur la route de Chateaubellair

Un petit chemin dans la forêt tropicale qui mène au premier village. Il faut marcher une heure. On dépasse des fermiers torse nu qui reviennent des champs, de banane, coco, marijuana. Parfois, les distinguer c'est facile. Leurs yeux rougis et l'air hagard, ils ne font pas que la couper. Ils marchent avec leurs chèvres, un âne ou une vache, quelques chiens. Un sac plastique avec la gamelle du jour. Et des fruits pour le dîner. Toujours, à la main, leur machette aussi longue que mon bras. Et malgré leur gentillesse, je ne peux retenir une petite peur quand je les rencontre sur ces routes désertes. Quand je croise des femmes aux cranes chargés de paniers, je m'accroche à leurs talons, ou parle avec elles, leur féminité me rassure. J'aime leurs rires aussi. Je ne suis jamais allée en Afrique noire, mais je suis sûre que les campagnes ressemblent à celles-là.

Au village, l'accueil est mitigé. Des femmes me balancent des insultes par dessus la rivière quand je sors mon appareil pour les photographier en train d'y laver leur linge. Je voudrais m'excuser, leur parler. Mais elles crient et persiflent, et m'ordonnent d'un geste de partir. Les enfants réparent la dureté des mères. Les plus timides me sourient depuis le perron. Un signe de la main, si je leur réponds, ils fondent de plaisir. D'autres se ruent sur moi, veulent jouer, billes, ballon, grosse pile qu'on lance le plus loin possible et qu'on court chercher, pour recommencer, me caressent les cheveux. J'aime toutes ces petites mains chatouilleuses sur ma tête, et ce rapport simple et bon. Avec les hommes, il faut à nouveau mentir, s'inventer une vie de famille, deux enfants. Un mari absent, c'est un frein bien maigre. Être mère change tout. On peut enfin essayer de parler d'autre chose. Essayer.

Le village s'est développé au rythme de la culture de la marijuana. La plupart des habitants sont des jeunes des villes débarqués là avec femmes et enfants pour trouver du boulot. "Le gouvernement essaie de stopper l'augmentation de la production. Il pense que ça favorise le crime. Mais c'est pas la culture du cannabis qui favorise la criminalité, c'est le chômage." Les jeunes viennent là pour faire de l'argent, vite, espèrent repartir avec de quoi s'acheter une terre ailleurs. Les flics sont les plus pourris dans cette histoire. Ils arrêtent leurs fournisseurs et amis quand le gouvernement leur demande de faire des exemples.

N'empêche qu'ils sont pas mal destroys ici, si je peux l'exprimer ainsi, vêtements déchirés, pieds nus, avec un air un peu largué, entassés dans des cabanes qui doivent être balayées chaque automne par le premier ouragan. Une femme me fait rentrer dans sa maison. Il y a quatre enfants, une seule pièce. Un assemblage de bois et de bambous sur lesquels on pose des feuilles de palmier sert de lits. Le reste du village s'éparpille autour de deux rues centrales. Le marché de poisson a dû vivre à une autre époque. Aujourd'hui, il tombe en ruine. On trouve trois shops qu'on peut parcourir d'un coup d'oeil.

Sur le chemin du retour, pour la première fois depuis le début de mon voyage, je sature mes tympans de musique pour marcher. Jusqu'ici, j'aimais écouter le bruit des arbres, des animaux, de la mer. C'est le chant d'hélium de Marie-Jo Thériault... " je pense à où je vais et là où j'ai déjà été...." C'est peut-être pas tant l'âge qui rend l'expérience actuelle si différente de mes voyages de jeunesse. À l'époque, je cherchais une terre d'accueil pour un nouveau départ, moins aigre, m'échapper du chemin circoncis... mais ce voyage-là, ce n'est pas une fuite. Au contraire, j'ai fait une drôle de rencontre, sans rien planifier. Je ne sais pas encore très bien comment l'exprimer, mais on dirait qu'il me fallait prendre un chemin pénible pour revenir à un même point, en paix.

Aucun commentaire: