Île après île, je quitte mon poste d'observation pour entrer dans la vie qui m'entoure. Je perds ma distance nécessaire, et mon carnet se transforme en journal de bord malgré moi. Liste d'activités. Énumération d'anecdotes. Je ne réfléchis plus aux îles. J'archive.
De toute façon, la question des îles est démesurée. Plus il y a de bruits, moins l'image est nette. Il y a autant d'îles que de personnes rencontrées. Pour lui, nous voilà sur une terre noire à 99 %, pour l'autre, c'est une terre de métissage, dans la langue, les couleurs de peau, les coutumes. Les hommes y boivent beaucoup. Parfois pas plus qu'ailleurs. Ils la trouvent sauvage, ces hommes civilisés. Mais les autres y voient une réussite dont ils sont pas peu fiers, une indépendance qui n'a pas fini comme Haïti, alors oui, la marijuana, mais pourquoi pas. Elle est dangereuse, cette île, te promène pas toute seule, même en journée, que me balance le guide. Rien à craindre ici, me glisse l'Argentin, le taux de criminalité le plus bas du monde. Mais ne va pas à Ste-Lucie, non, non, rajoute le premier... Les Grenadiens me disaient la même chose de vous, de m'en méfier...
C'est que la plupart de mes insulaires ne sont jamais sortis de leur village, construisent leur île des propos relatés, et l'archipel aussi, avec des trous dans l'image. Et toujours cette curiosité mêlée d'empathie envers les îles encore ligotées à leurs maîtres, Martinique, Guadeloupe, dont ils apprennent la bataille contre la vie chère. "Les pauvres toujours pas libres"... Mais aussi, "De quoi y s'plaignent eux, z'ont le chômage, le salaire minimum, la santé gratuite..." Ils ont conquis leur liberté seuls, triment pour avoir de quoi manger, cultivent leur terre, comprennent pas comment on peut tout attendre des autres, attendre les bras croisés que la vie change.
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