mardi 21 avril 2009

Beauté crasse

A.D. a choisi de rester à Vinales jusqu'à son retour pour Londres. Il a détesté La Havane. Trop sale. Quand il m'a dit ça, j'ai repensé aux odeurs sales de La Havane. Les murs décrépis. Les trous dans le bitume. Les merdes de chien. La crasse goudronneuse qui ne part plus de mes pieds. Les bousculades dans les rues piétonnes. Les coups de klaxon. La chaleur humide. Le vent poussiéreux sur le Malecon. Les putes qui vous appellent "mon ami".

J'ai repensé à cette scène de marché où les clients, après m'avoir demandé des savons, des habits, une pièce, et essuyé mon entêtement "No tengo nada mas, no tengo nada mas", ont pris d'assaut mon sac de toile. "Et ça, et ça?", a hurlé celui dont la main venait d'extirper un foulard, d'un air de dire que ça pourrait toujours faire son affaire. "Mais je m'en sers!" C'était mon foulard 3en1 (chapeau contre le soleil, écharpe contre le vent du soir, lamb pour la plage). Ah... consternation des visages. La main renfonce le bout de tissu, ressort chargée. "Des livres, des livres!" . "Des livres en espagnol que je viens d'acheter un peso dans votre librairie". Et de le remettre là où il l'a trouvé. "Un stylo?" Je n'en avais plus qu'un qui se débattait tant bien que mal pour terminer sa course avec moi. "Du dentifrice"? Rarement sur moi. J'avais quelques pesos, mais des pesos, ça nous mettait à égalité. Il m'aurait fallu des dollars. Un livre anglais. Les robes de la saison passée emportées pour les distribuer sur le marché. Des brosses à dent. les mains ont quitté mon sac. Dedans, mon appareil photo, mes papiers, mes pesos, mon foulard, mes livres et mon stylo se sont collés les uns aux autres. Je trouvais ça incroyable qu'ils n'aient pas profité de leur position. Ils auraient pu tout prendre de force. Ils m'avaient demandé l'autorisation.

J'adore la foule et la polysémie des décors de La Havane. Les musées, les restaurants, les terrasses remplies de touristes. Qui côtoient les appartements en ruine, les Cubains mangeant une pizza sur les marches de leur maison. Le blanc éclatant des apprentis santeros. Mes pieds noirs et collants. Les sollicitations continuelles mêlées à un respect classe. Les files qui se constituent au petit matin à l'annonce de l'arrivée d'un produit rare dans les magasins de rationnement. Le plateau de pâtisseries maison qui attend les gourmands derrière les barreaux d'un salon. Et l'impression que je n'aurai jamais assez d'heures pour venir à bout de cette ville. Ça rompt avec le cycle des petites îles. Paysages identiques et vie culturelle invisible.

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